Texte par Sarah Sax
Photos par Christine Peterson

 

« Si vous cherchez à revitaliser ou à redynamiser la culture, vous devez ramener les aliments, les graines et les rituels. »

Rowen White n'a jamais eu l'intention de devenir semencière. La fondatrice de Sierra Seeds, une petite coopérative régionale de gestion des semences basée dans le comté de Nevada, en Californie, a grandi dans une petite communauté située sur la rive du fleuve Saint-Laurent, appelée Akwesasne. Elle se souvient qu'il y avait trop peu d'options alimentaires et trop de maladies liées à l'alimentation dans cette communauté et qu'elle avait développé une conscience aiguë des impacts de l'injustice alimentaire. Lorsqu'elle déménagea au Massachusetts pour travailler dans une ferme biologique à l'âge de 17 ans, elle vit pour la première fois des dizaines de variétés de tomates anciennes mûres de formes, de saveurs et de couleurs différentes. Elle se souvient encore de ce sentiment d'émerveillement, elle qui n'avait connu qu'un seul type de tomates rouges rondes standards toute sa vie. 

Aujourd'hui, Rowen, membre de la communauté tribale mohawk d'Akwesasne, se qualifie fièrement de semencière. Lorsque je l'interroge à ce sujet, elle me dit en riant que c'est un jeu de mots sur l'industrie moderne des semences industrielles, puisque, historiquement, les hommes qui travaillaient dans ce domaine s'appelaient eux-mêmes semenciers. Rowen se réapproprie ce mot, emblématique des moyens discrets qu'elle utilise pour résister à l'hégémonie du système agricole industriel. Mais c'est aussi une référence directe au rôle historique que les femmes, en particulier les femmes autochtones, ont joué dans la conservation et le soin des semences. «Ça ramène en quelque sorte la dignité de la femme dans ce travail, et nos responsabilités culturelles et spirituelles de prendre soin des semences pour les prochaines générations.» Les graines et les humains ont évolué ensemble depuis la naissance de l'agriculture et constituent la base de la majorité des aliments, des médicaments et des matériaux essentiels à la vie. Mais les graines ont toujours été plus qu'une simple unité de reproduction de plante à fleurs, du matériel génétique enfermé dans une enveloppe. Elles sont aussi des souvenirs, qui relient l'homme au passé et au présent, aux traditions culturelles et à l'histoire de l'alimentation. «Tout le monde est intimement lié aux semences», déclare Rowen, «qu'on en soit conscient ou non». Cependant, la riche diversité des semences a disparu de nos champs et de nos réserves, tout comme les cérémonies, les rituels et les événements culturels qui y étaient liés. 

C'est particulièrement vrai dans les communautés autochtones où des générations de colonisation, de déplacements forcés et d'acculturation ont séparé les gens de la terre et des semences. «Nos modes de vie culturels ont été lourdement affectés, et nous sommes nombreux à essayer de reconstruire et de revitaliser notre culture», explique Rowen. Et c'est précisément ce qu'elle fait.


Les agriculteurs pratiquent la sélection des semences depuis des milliers d'années, et les communautés autochtones depuis des milliers d'années avant eux. «Être un agriculteur ou un jardinier et ne pas être un semencier était inimaginable», dit Rowen. «Les deux rôles étaient intrinsèquement liés.»
Ce n'est que depuis une centaine d'années que les semences et l'agriculture sont séparées comme étant deux processus distincts, un changement qui a inauguré l'ère de l'agriculture industrielle. Les semences industrielles, provenant de champs situés à des centaines ou des milliers de kilomètres de leur origine, sont créées par la pollinisation minutieuse de deux variétés spécifiques afin de créer une semence hybride. Les semences sont sélectionnées pour le rendement maximal, la facilité de récolte mécanisée et la standardisation. Ce qui a contribué à un déclin sans précédent de la diversité des semences. En 90 ans, nous avons perdu 93 % des variétés de nos semences alimentaires et aujourd'hui, seules neuf espèces représentent 66 % de la production agricole mondiale.  


La descendance des semences hybrides étant de bien moindre qualité (lorsqu'elle est viable), les agriculteurs dépendent de l'achat de semences chaque année auprès de grands groupes mondiaux. Actuellement, quatre sociétés seulement contrôlent plus de 60 % du marché global des semences, ce qui fait de l'industrie des semences l'une des industries les plus compétitives de l'agriculture américaine. Par le fait même est rompu un contrat entre les humains et les plantes qui existe depuis des dizaines de milliers d'années.

Ce n'est donc pas une coïncidence si la plupart des formes les plus fortes de résistance au complexe agricole industriel moderne sont axées sur les semences. «Les semences sont le fondement d'un paysage agricole dynamique», déclare Rowen. De Vandana Shiva en Inde à Percy Schmeiser au Canada, les semences sont peut-être l'un des champs de bataille les plus controversés et les plus enflammés - et l'acte de conserver et de partager les semences est l'un des actes de résistance les plus profonds.

 

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*Ici adapté pour le web. Tu peux lire l'article complet dans la version anglaise du troisième numéro du Magazine Growers & Co.
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